Abstract
La traductologie s’est récemment enrichie d’un nouveau courant de recherche d’orientation postcoloniale. En ce qu’il remet en question les notions d’équivalence et de transfert sur lesquelles se fondaient les théories traditionnelles, ce courant jette les bases d’un questionnement épistémologique analogue à celui auquel les ethnographes ont procédé, il y a une quarantaine d’années. L’analogie entre la figure de l’ethnographe et celle du traducteur, leur rôle en tant qu’interprètes culturels et écrivains, a fait l’objet de plusieurs analyses. Cet article propose de creuser l’analogie en la resituant toutefois en amont. Il explore en quoi la réflexion des ethnographes sur leurs propres pratiques d’interprétation et sur la production des connaissances peut éclairer, aujourd’hui, celle des traductologues. L’hypothèse qui le sous-tend est la suivante : la perspective ethnographique, en particulier les travaux de Bruno Latour, nous invite à penser la traduction comme un processus de production qui fait appel à des intermédiaires opérant selon une logique de réseau. Dans ce cadre, la traduction-texte n’apparaît plus comme le « simple » reflet des normes d’une société donnée ou de la subjectivité d’un traducteur, mais bien plutôt comme l’expression des relations qui se sont tissées entre ces intermédiaires. Cette conclusion permet de valider les modèles traductologiques fondés sur les notions de dialectisme et d’hybridité, tout en évitant le biais textuel et littéraire qui les caractérise. Ce faisant, elle entraîne un élargissement du débat éthique et ouvre de nouvelles avenues de recherche pour le paradigme descriptif.