Abstract
Les manuels scolaires ont vocation à instruire mais aussi à éduquer les élèves en leur transmettant un ensemble de valeurs qui, à travers la formation des futurs citoyens, permettent d’assurer la cohésion sociale. Dans les sociétés multiculturelles, l’idéal de faire coïncider l'état et la nation se heurte souvent à la difficulté de faire partager des valeurs communes. Certaines de ces sociétés se caractérisent par l’existence de minorités qui peuvent rendre difficile la réalisation d’un projet politique commun. Tel est le cas de la Chine dont l’histoire est marquée par la volonté d’instaurer en 1911 un état-nation moderne sur les ruines de l’empire et par le souci de donner ensuite, sous la conduite du Parti communiste, une réalité politique substantielle à ses minorités par des mesures de discrimination positive sur critère ethnique. On peut s’interroger sur la cohérence d’un tel projet qui risque de mettre en opposition l’objectif de réaliser l’unité et l'affirmation de la diversité, d’inviter à une double appartenance à une « petite patrie » et à la grande. C’est à cette difficulté que sont confrontés les manuels d’histoire et les manuels d’éducation civique et morale en usage dans la préfecture des Yi de Liangshan au Sichuan dont nous étudions ici le contenu ainsi que les fins poursuivies par ces enseignements quant à la formation des futurs citoyens dont l’identité ethnique, confirmée par une politique officielle remise en question dans le débat académique, risque de faire ombrage à leur intégration dans la grande nation chinoise. On ne sera donc pas surpris de voir les manuels mettre tout en œuvre pour persuader les élèves de l’unité affective du peuple chinois sous la conduite du Parti qui est par ailleurs garant de sa diversité ethnique. Cette entreprise paradoxale est soutenue par une pédagogie qui ne laisse place à aucune distanciation par rapport au message délivré par les manuels. Textbooks are intended to convey knowledge but also to educate students by giving them a set of values, which contribute to social cohesion by the training of future citizens. In multicultural societies, the ideal is to match up the particular interests of minorities or communities with sharing common values. Some of these societies are characterized by the existence of a common political project. Such is the case in China, whose history is marked by the will to establish in 1911 a modern nation-state on the ruins of the empire. Later, under the leadership of the communist Party, a substantial political reality was given to historical minorities by measures of "affirmative action" on ethnic criteria. We can wonder about the coherence of such a project which risks to put into opposition the objective to realize the unity and to stimulate ethnic minorities demands by strengthening the diversity. History textbooks, civics and moral education textbooks used in Liangshan Yi Prefecture (Sichuan) face this problem. We study the contents as well as the rationale pursued by these curricula. Today academic debates discuss the opportunity of official policies concerning ethnic identity in order to prevent from splitting national common identity and minorities' identities. Thus, we shall not be surprised to note that the textbooks are working for a conciliation of both attitudes under the leadership of the Party, who guarantees besides its ethnic diversity. This paradoxical approach is supported by the pedagogical practices, which does not allow students to keep a critical distance from the message delivered by textbooks.

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