Abstract
Certains critiques ont défini le mythe comme une parole relatant un événement et portant un message dont l’origine reste non identifiable. Marguerite Duras explore de façon créative la nature du récit mythique et des possibles identités de ses auteur et destinataire, par le biais du cinéma, tout en respectant les mécanismes qui assurent son universalité (comme l’effacement du genre de la voix et la superposition des temporalités). Partant des plus anciennes traces de la présence humaine sur terre, elle transporte le premier discours mythique, non écrit, jusqu’à nos jours. Cette trace, c’est la main négative, caractéristique de l’art du Paléolithique supérieur, dans laquelle Duras perçoit un cri d’amour. Le court-métrage qui s’y rapporte, et dont il est question ici, mêle passé et présent par l’usage d’un récit oral ne correspondant en rien au récit visuel qui l’accompagne: l’un parle au nom d’un homme préhistorique; l’autre montre des images sombres d’un Paris qui s’éveille, où seules des silhouettes noires nettoyant les rues se distinguent peu à peu. En actualisant le récit mythique dans un contexte socio-politique qui reste pertinent, Duras nous alerte sur l’inhumanité des sociétés modernes et nous interpelle quant à notre relation à l’Autre, révélant que l’invisibilité des êtres provient d’un aveuglement collectif consenti. Pour Duras, cet état de transparence universelle qu’elle perçoit de manière humaniste passe en premier lieu par elle-même, en tant que narratrice à la voix spectrale d’un récit mythique, Les Mains négatives, et en tant qu’attributaire et légatrice d’un amour atavique.