Abstract
Le féminin, dans la culture et à travers sa corporéité, n’est pas une thématique explicite chez Lévinas, il n’en a pas livré la théorie qui pourrait nous servir de guide. Pourtant, cette question est diffuse à travers toute son œuvre où le féminin est désigné comme «mystère» et comme «autre essentiellement». Elle se manifeste par des concepts imagés ou des métaphores théoriques (comme la demeure, l’hospitalité, la défaillance, la vulnérabilité, la fuite, le gémissement d’entrailles) qui séduisent et interrogent. Ces formulations plaisent car elles amènent dans le discours philosophique une présence concrète du féminin qui avait été exclue de la pensée pour être reléguée principalement dans les représentations artistiques. Elles dérangent cependant car elles semblent biologiser et naturaliser ce qui se veut une éthique non essentialiste. Alors que le rapport à l’autre-femme suppose un dépassement du «corps propre» du sujet masculin, un doute s’impose sur l’assignation des femmes à leur naturalité. De la même façon, la dimension historico-culturelle du féminin, à travers les figures bibliques ou littéraires, est convoquée et tenue en lisière, alors même qu’elle est porteuse de significations qui orientent la pensée et qui demanderaient à être éclaircies. Le philosophe affirme pourtant que son propos n’est ni anthropologique ni psychologique, mais qu’il vise les structures ontologiques. Au-delà de la description des phénomènes dans leur être immédiat, il s’agit de se situer au niveau de l’être comme événement sans retourner à une essence a priori. La dimension ontologique du féminin ne se révèle donc ni comme être caché derrière sa manifestation, ni dans l’immédiateté existentielle, ni comme révélation dans la culture. La question se pose de savoir si Lévinas est parvenu à faire émerger le féminin comme événement ontologique et comme éthique, ou si sa démarche s’est retournée contre son intention.