Abstract
Résumé À quatre reprises dans une œuvre qui ne compte qu’une petite dizaine de livres, l’écrivaine et militante féministe « matérialiste » Monique Wittig a réécrit le mythe grec d’Orphée et Eurydice. Wittig transforme Orphée, poète comme elle, en serpent (Les Guérillères) et en femme (Le Corps lesbien), et recentre l’histoire sur Eurydice qui devient, de ce fait, bien plus que le trophée muet traditionnel. De surcroît, l’insistance sur ce mythe montre que Wittig épouse la figure d’Orphée, pour mieux refuser la logique des conventions patriarcales. Cependant, ce refus ne suffit pas à transformer Orphée en figure salvatrice. Se rendant en enfer dans Virgile, non pour en libérer les femmes qui s’y trouvent, Wittig découvre que ces femmes torturées ont accepté leur position dans le système en place, soit par conviction, soit par lassitude. Dans Le Corps lesbien, Orphée féminisé désespère de réussir à sauver sa compagne dont le corps pourrissant peine à la suivre. Mais en arrivant à la surface, la désintégration de ce corps révolte Eurydice. Pour réussir à sauver cette femme qui est à la fois l’écrivaine et son amante, Orphée doit donc aller au fond d’elle-même et déterrer ce qu’on y a condamné comme étant haïssable, afin d’apprendre à (s’)aimer pour qu’elle vive. Cette exhumation est un acte politique qui refuse les relations de genre dictées par une société qui justifie l’oppression des femmes. Ici, Wittig rejoint non pas les autres féministes françaises, mais les féministes noires de son pays d’adoption, les États-Unis, pour qui le travail à faire est intérieur avant tout et pour qui le soin de soi et l’amour « radical » de soi constituent des actes de résistance et les conditions nécessaires à un mouvement socio-politique radical.