Abstract
Résumé Dans La Femme aux pieds nus (2008), le deuxième roman de Scholastique Muskasonga, écrivaine rwandaise de renom, le lecteur constate deux corps maternels – le Rwanda, le pays natal de l’auteure, et la mère de Mukasonga, Stefania. Julia Kristeva décrit le corps maternel comme une «polyphonie» (2017). Dans le contexte rwandais, cette polyphonie se compose de vivants accompagnés de voix des hommes, des femmes et des enfants morts du génocide en 1994. Stefania n’était qu’une de ses victimes. Pour Mukasonga, les mythes de son peuple, les Tutsi, sont d’une grande importance pour pouvoir reprendre possession de l’histoire des Rwandais. Mukasonga privilégie dans son roman des mythes bibliques et tutsi, mais il y a aussi des mythes inventés ou réécrits. Il est pourtant probable que le lecteur occidental ignore les mythes tutsi, comme celui de Ruganzu Ndori, roi du royaume rwandais au XVIe siècle, connu pour ses pouvoirs mystiques. Les colons belges ont propagé leur propre version des origines des Tutsi et le génocide s’est avéré être le véritable aboutissement d’une guerre des mythes. Cet essai se concentrera surtout sur deux chapitres de La Femme au pieds nus, «Le pays des contes» et «Des histoires de femmes», dans lesquels Mukasonga infuse sa langue maternelle, le kinyarwanda, pour souligner une réappropriation des mythes tutsi «violés» par des Occidentaux. La réécriture des mythes chez Mukasonga suggère une sorte de recomposition du corps maternel absent. Ces mythes revisités représentant les voix éteintes du passé visent à aider non seulement leur auteure mais aussi la société rwandaise à se relever d’un passé marqué par la violence.